Les entretiens
Cahier n°3

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

SARAH B. COHEN
SALVADOR NANA

Préambule

-Sarah… pouvons-nous nous tutoyer… je me sentirais plus à l'aise…

- Hum… hum… Salvador… le tutoiement entraîne une familiarité entre les deux protagonistes qui peut entraîner à son tour des échanges de paroles particulièrement intimes.

- Oui… mais… je me sentirais plus à l'aise…

- OK… Salvador

-Attention… micro !

- Bonjour à tou.t.e.s… merci à vous d'être fidèles à ces moments privilégiés que sont les entretiens de l'Obsidienne.

Je vous invite au Cameroun, à Douala, et plus exactement avec Salvador, jeune écrivain en devenir et notre guide en ce séjour africain qui n'a rien d'un voyage d'agrément.

Salvador, je tiens à vous le préciser, préfère nous parler sous un pseudonyme dont l'emploi, par lui-même, en dit long sur la vie difficile des personnes LGBT au Cameroun.

J'ai rencontré Salvador sur Facebook à la suite de la publication de l'un de ses statuts dans lequel il confiait ceci :

"Petit,je suis un enfant plutôt intelligent, assidu et respectueux des valeurs traditionnelles.

Je suis différent des autres et ça, ils ne cessent de me le répéter ; je préfère les poupées au foot, je joue plutôt avec mes sœurs qu'avec mes frères, je suis un peu maniéré et du coup on me colle toutes les étiquettes sur le dos : fille-garçon, pédé…

C'est dans cette ambiance que je grandis.

Au secondaire, de retour chez maman, je rencontre un voisin avec qui on se lie d'amitié et avec qui on fait plein de choses coquines ;lui, ne sachant pas toutes mes frustrations, se confie un jour à un voisin.

Ce voisin profite alors de ce lourd secret pour me faire chanter et m'extorquer des services gratuits.

Dans mon adolescence, maman me surprend un jour avec un mec et décide d'agir.

Elle m'emmène alors voir des tradipraticiens et le curé du quartier".

N.D.C. "Un tradipraticien (aussi appelé « tradithérapeute, nganga,« guérisseur) exerce une pratique médicale non conventionnelle reposant sur des approches présentées comme traditionnelles dans certaines communautés africaines. (tradipraticien, Wikipédia).

"À son plus grand dam, il n'y a aucun changement sur mon physique et elle se dit alors déçue.

C'est ainsi qu'elle ne me parle plus, ne me regarde plus. Je vis dans une maison avec elle, mais comme si j'étais tout seul.

Pour payer mes études de droit, je dois faire des petits jobs par-ci, par-là. Des fois je veux quitter, aller me caser, mais mes petits jobs ne me permettent pas de claquer la porte et je dois supporter tous les regards moqueurs, ces hommes qui te huent au passage, ces femmes qui te toisent sur le chemin ou ces anciens amis qui se moquent dès que tu les croises.

Tu n'arrives plus à te retrouver, reconstruire ton identité ; des fois, j'ai pensé au suicide, à la fuite vers d'autres lieux, mais où ? La peur reste constante et tu vis renfermé sur toi-même.

Les hommes qu'on rencontre sur les réseaux sociaux sont parfois des escrocs ou des espions, car, chez nous, l'homosexualité est pénalisée.

Du coup on est sur le qui-vive, on a peur, on ne sait à qui faire confiance et on vit en réclusion.

Parfois tu as l'espoir de trouver quelqu'un ailleurs avec qui partager une idylle via les réseaux sociaux ou pendant des vacances, à l'occasion. Mais, là encore, tu peux tomber sur un raciste qui ajoute encore de la douleur à tes peines. C'est dommage et dur".

Nous vous remercions pour votre attention, votre motivation à écouter des paroles parfois choquantes pour nos esprits formatés occidentaux et notre vision particulière de la cellule familiale, elle-même issue de relations établies depuis des siècles autour du mariage monogamique, qu'il soit civil ou religieux.

Les sociétés africaines ont, comme les nôtres, un lourd passif d'oppressions de la sexualité.

Ces oppressions, ces abus de pouvoir patriarcaux, encore propres à l'histoire de toutes les sociétés contemporaines, sont probablement exacerbées en Afrique par le fait que les sociétés africaines modernes doivent faire face à une double oppression : celle de leurs organisations patriarcales polygamiques traditionnelles et celle née de et par la colonisation comme certaines lois et comportements homophobes, inexistants auparavant, mis en place par les administrations coloniales.

Quelques liens sur le thème homosexualité en Afrique pré-coloniale et post-coloniale

Homosexualité pré-coloniale africaine, Publié le 9 avril 2014 par Colin Stewart sur le blog « 76 Crimes en français »

L’homosexualité en Afrique, un tabou persistant; l'exemple de la RDC, publié le 4 mai 2009 par Sylvestre Luwa et Christophe Cassiau-Haurie sur le site Africultures

l’article 347 bis du Code Pénal du Cameroun repose-t-il sur une base légale ? Publié par Sebastien Mandeng, Grioo.com

Droits LGBT au Cameroun, Wikipédia

Alice Nkom, Wikipédia

LA VENUE À L'ÉCRITURE

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

- Salvador, sois le bienvenu sur la page des éditions de l'Obsidienne… pour commencer… relativement gentiment… As-tu une ou des pratiques artistiques ?

- Selon les critères de classification de Hegel qui distingue l'art expressif de l'art matériel, je suis plutôt un pratiquant de l'art expressif.

La littérature est ma plus grande activité artistique.

- Ouh… cela commence fort, Salvador ! Peux-tu nous expliquer brièvement ce que Hegel entend par "art expressif" et "art matériel" ?

- Dans ses enseignements, Hegel subdivise l'art en cinq parties et ces parties sont réparties en deux groupes qui sont l'art matériel et l'art expressif.

Hegel prescrit donc que l'art matériel est cette forme d'art qui a recourt au travail manuel et dans ses rangs on a l'architecture, la sculpture et la peinture et l'art expressif qui regroupe la musique, le roman et la poésie.

De ce fait, je pratique cet art émotif, peut-être parce que je suis assez sentimental et émotif. Mais sans toutefois négliger cette forme d'art expressif.

J'aime la beauté dans le monde ; qu'elle soit mise en exergue, quelque forme qu'elle ait, expressive ou matérielle.

J'aime regarder un joli tableau, regarder de jolies formes d'architecture et contempler une sculpture ravissante.

- Salvador, comment as-tu commencé à écrire ?

- Petit, je passais déjà beaucoup de temps dans les livres et j'avais une grande passion pour les histoires fantastiques et les fables tant africaines qu'européennes.

C'était une manière de me renfermer dans mon petit coin, où je pouvais être à l'abri des autres et comparer ma vie à celle des acteurs de mes livres… j'ai toujours eu beaucoup d'imagination.

Plus tard, j'ai associé la musique à la lecture.

Écouteurs à l'oreille, volume à fond, je me lovais autour de mon oreiller pour ruminer ma vie et pour rêver ; j'ai toujours aimé les rêves, qui sont la seule chose que personne n'osera jamais m'enlever.

Quant à la peinture, je suis un piètre dessinateur, je n'ai jamais pu tenir un pinceau et pourtant Dieu seul sait à quel point j'adore regarder un dessin ou en posséder.

Ce sont des choses sur lesquelles on peut voir miroiter le monde. Dans les tableaux, on peut voir l'expression des émotions dissoutes loin au fond de nous, où notre réalité nous rattrape aussi.

La littérature comme la peinture sont, pour ma part, les seuls témoins de notre passage dans le monde. Je conçois bien que l'un va avec l'autre. Tandis que la littérature raconte sur de longues lignes nos vécus et quotidiens, le dessin nous renvoie au même récit avec tout ce mélange de couleurs.

J'ai commencé à écrire des pièces de théâtre que je présentais dans mon école primaire. J'étais encore très jeune.

Ensuite, j'ai écrit des contes et des nouvelles car je ne maîtrisais pas encore l'art de l'écriture et je ne faisais alors que de courts récits.

- Salvador, qu'est-ce qui t'as donné envie d'écrire ?

- Peut-être parce que j'aimais beaucoup la lecture ; ou à cause des souffrances que je voyais dans les yeux de ma mère, au quotidien.

Elle a été l'une de mes plus grandes inspirations dans mes débuts à l'écriture.

- Comment as-tu commencé à écrire ?

- Ma première pièce de théâtre s'inspirait d'un conte que ma mère aimait bien me raconter le soir, couchés dans notre cour au clair de lune.

Elle aimait bien ce conte et, au bal de mon école, en fin d'année, j'ai réécrit ce conte en lui donnant un air encore plus nouveau, ce qui a eu l'effet espéré sur la foule.

Je les regardais rire et se tordre de joie au moment de la représentation et je pensais à maman qui n'avait pas pu venir. J'étais certain qu'elle devait être fière de cette représentation ; le soir même, elle sut tout de la représentation avant d'arriver à la maison.

Cette pièce de théâtre était pour moi une occasion de créer une certaine fusion entre ma maman et moi.

- Salvador, dans quelle langue as-tu commencé à écrire ?

- Le français

- As-tu déjà eu un journal intime, des carnets où tu relatais des citations, des pensées ?

- Un journal intime et des pensées.

- Salvador, faisais-tu lire ce que tu écrivais ?

- Quelquefois.

- Salvador, as-tu été encouragé ?

- Oui. J'ai toujours été encouragé par ceux qui lisaient ce que j'écrivais.

- Découragé ?

- Non.

- Salvador, écrivais-tu des choses que tu ne montrais à personne ?

- Cela m'est arrivé parfois d'écrire des choses que j'ai voulu que personne d'autre, en dehors de moi, ne voie.

- Salvador, que lisais-tu quand tu étais enfant et adolescent ?

- Enfant, je lisais beaucoup de la littérature de jeunesse et des bandes dessinées. Adolescent, je me suis intéressé encore plus à toute autre forme de littérature.

- Quels sont les auteurs que tu aimais ?

- J'ai bien aimé Francis Bebey, Beaumarchais, Camara Laye, Gustave Flaubert, Victor Hugo,… la liste est assez longue.

- Et maintenant ?

- Maintenant j'aime tellement d'auteurs, ajoutés aux précédents bien sûr. Je peux encore citer : Calixthe Beyala, Fatou Diome, JK Rowling/Robert Galbraith, Nora Robert, André Aciman, Dan Brown…

- Salvador, as-tu essayé d'écrire dans une autre langue que le français ?

- Non, par encore.

- Salvador, as-tu écrit autre chose que des romans, des poèmes, des pièces de théâtre ?

- Non.

Quelques liens biographiques concernant les auteur.e.s évoqué.e.s :

- Francis Bebey

né le 15 juillet 1929 à Douala et mort le 28 mai 2001 à Paris, est un artiste camerounais, musicien et écrivain. Il est le père, entre autres, de Kidi Bebey, journaliste à Radio France Internationale, et auteur.

Francis Bebey, Wikipédia

- Camara Laye

né le 1er janvier 1928 à Kouroussa, un village de Haute-Guinée, et mort le 4 février 1980 à Dakar, est un écrivain guinéen d'expression française. Son père, Komady, est forgeron ainsi qu'orfèvre et sa mère est la petite-fille d'un forgeron.

Camara Laye, Wikipédia

- Calixthe Beyala

née le 26 octobre 1961 à Douala au Cameroun, est une romancière franco-camerounaise.

Calixthe Beyala, Wikipédia

En 2010, elle écrit et réalise son premier film documentaire, Manu Dibango, Tempo d'Afrique.

Manu Dibango, tempo d'Afrique - Collection "Empreintes" (Documentaire : extrait), Youtube

- Fatou Diome

née en 1968 à Niodior au Sénégal, est une femme de lettres franco-sénégalaise.

Fatou Diome, Wikipédia

LA PUBLICATION

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

- Salvador, est-ce que l'un de tes textes a été publié ?

- Non… jusqu'à ce jour, mes romans sont restés à l'état de manuscrit.

Le second, particulièrement, traite de l'homosexualité et c'est presque impossible de le faire publier ici, en Afrique.

Je n'ai donc jamais publié.

- Salvador, as-tu proposé des textes à des revues ?

- J'ai proposé un manuscrit, une fois, à une maison d'édition ; je n'ai malheureusement jamais reçu de réponse, même négative.

- Comment l'as-tu vécu ?

- Pour moi, c'était quand même dur ; dur de rester dans l'espérance et de ne jamais avoir reçu de réponse.

- Salvador, connais-tu d'autres écrivains, des journalistes, des éditeurs ?

- Des écrivains, oui. Mais pas de journalistes ou d'éditeurs.

- Salvador, comment t'est venue l'idée de publier ?

- L'idée de publier commence par l'envie d'être lu par les autres personnes. Nous aimerions que les autres prennent connaissance des messages inscrits dans nos livres, qu'ils soient réunis autour de la même table et partagent les cultures divergentes.

- Combien de temps s'est-il écoulé entre le moment où tu as eu un manuscrit prêt et le moment où tu as décidé de faire des démarches pour le publier ?

- Le temps des corrections et de la relecture. à peu près un mois, disons.

- Salvador, est-ce que, quand tu écris, tu as déjà en tête l'idée de publier ?

- Non, pas forcément. J'ai des manuscrits tapis dans mon placard que je n'ai jamais eu l'intention de publier.

- Salvador, trouves-tu que la publication est une étape importante ? Nécessaire ? Ou pas ?

- La publication est une étape importante dans la vie d'un auteur qui écrit pour se faire lire ou qui décide d'en faire son métier. Je pense qu'elle est nécessaire pour partager avec les autres ce que l'on a sur le cœur.

C'est un moment assez privilégié d'apporter à ce village planétaire que nous formons aujourd'hui, la part de contribution que sont mes romans.

- As-tu une idée précise du type d'éditeur chez qui tu souhaiterais publier ?

- Pas vraiment… mais je souhaiterais tout de même un éditeur capable de promouvoir mon travail et de le hisser à un certain rang.

- Salvador, comptes-tu proposer tes prochains textes à des éditeurs ?

- Oui, comme je l'ai dit précédemment, j'écris pour partager et, en dehors des carnets qui sont pour moi comme des journaux intimes, le reste de mon écriture est fait pour être lu par le reste du monde.

- As-tu bénéficié du soutien d'une institution, d'un club, d'une subvention, d'une quelconque aide matérielle ?

- Non, rien.

- As-tu eu l'occasion de parler publiquement de tes écrits ?

- Oui, quelques fois.

- Salvador, utiliserais-tu un pseudonyme pour publier ?

- Oui ! Je suis un auteur à multiples pseudonymes. Je crois que chaque genre pourrait porter son propre nom d'auteur ; que ce ne soit pas le même nom qui publie un thriller et un roman d'amour. Ce serait à voir, bien sûr.

- Pour quelle raison ?

- Pour attribuer chaque forme d'écriture ou chaque genre à un auteur bien précis de telle sorte que, dès que le lecteur entend parler d'une publication à tel nom, il a déjà une idée de quoi il pourrait bien s'agir.

N.B.(Sarah B.Cohen)

« Des difficultés à travers la production et la consommation du livre local entraînent une consommation du livre extérieur très majoritaire. Dans les librairies et les bibliothèques, le rapport de 90%/10% est avancé. Il faut avoir dans l'idée que, au Cameroun, l'édition scolaire est quasiment monopolisée par des entreprises françaises : Hachette, Edicef,  Belin, Nathan. 

La France est considérée – souvent à tort – comme un « eldorado littéraire » : on enverra d'abord son manuscrit chez des éditeurs français avant de se « rabattre sur l'édition locale.

Le seul moyen d'édition pour des écrivains pas encore publiés et ayant été confrontés au refus éditorial reste le plus souvent l'auto-édition, mais c'est surtout dans le milieu universitaire que les gens prennent encore le risque d'imprimer et de mettre sur le marché un livre, sans vendre d'ailleurs beaucoup d'exemplaires. Cette démarche d'auto-production est plus un défi pour l'auteur : le moyen d'offrir un support solide à son ouvrage, une conservation du manuscrit, de lui assurer si ce n'est une diffusion, du moins une survie « matérielle ».

Il faut aussi préciser que, face aux participations sur la fabrication demandées et au faible pourcentage sur les droits d'auteurs, certains écrivains dont le manuscrit aurait pu être accepté préféreront se lancer dans la coédition, étant ainsi les seuls tenants des recettes sur des ouvrages dans les marges de l'informel, non référencés et n'appartenant à aucun circuit « officiel du livre.

– Par ailleurs, l'auteur publié sur place est généralement forcé de s'impliquer directement dans la diffusion de son texte, pour compenser le manque de moyens des éditeurs locaux.

Sources : EditAfrica, réflexion et information sur le monde du livre africain.

Quelques points sur le livre, l’édition et la diffusion au Cameroun

LA RECONNAISSANCE

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

- Salvador, as-tu participé à des concours littéraires ?

- Une fois.

- As-tu reçu des prix ?

- Non.

- Salvador, as-tu déjà eu l'occasion d'être invité en tant qu'écrivain à l'étranger ?

- Pas encore. Déjà que mes écrits ne sont pas encore publiés…

- Salvador, pourquoi ne publies-tu pas en auto-édition ?

- Publier en auto-édition demanderait assez de temps pour la promotion, le marketing et tout le reste.

Je pense qu'il y a assez de professionnels pour faire ce travail ; l'auteur doit se concentrer sur son travail d'écriture.

- Salvador, pourquoi ne publies-tu pas sur l'internet ?

- C'est une question que je ne me suis pas encore réellement posée. Mais peut-être parce que j'aurais une plus grande fierté de voir mon nom sur du papier que de le voir défiler à l'écran de mon téléphone.

SOCIABILITÉS LITTÉRAIRES

- Salvador, fais-tu partie d'un cercle, d'une association d'auteur.e.s ?

- Oui, j'ai un petit groupe d'auteurs amateurs.

- Y tiens-tu un rôle particulier ?

- Dans ce groupe, je suis celui qui prend la plume. C'est un peu, comment dirais-je… que j'en suis la courroie centrale.

- Est-ce que le fait de faire partie d'un tel regroupement t'aide à te donner une visibilité, à avoir accès à des fonds, à participer à des événements publics ?

- Non.

- Salvador, est-ce que tu as déjà initié un ou des événements publics, des conférences, des colloques ?

- Non.

- As-tu des ami.e.s ?

- Oui.

- Quand et comment les as-tu rencontré.e.s ?

- Certains de mes amis sont des gens avec qui j'ai fréquenté ; d'autres sont ceux que la vie a mis sur mon chemin à un certain moment donné.

- Quand et comment les vois-tu ?

- On se voit assez rarement. Des fois c'est pendant le week-end et des fois lors des visites qu'on se rend.

- Salvador, est-ce que tu peux discuter avec ces am.i.e.s de ton activité d'écriture ?

- Oui, nous le faisons assez souvent.

THÈMES ET GENRE

- Salvador, peux-tu me parler en quelques mots des thèmes que tu abordes dans tes écrits ?

- Dans mes récits, je parle de l'amour ; de ses bas et ses hauts. J'aborde aussi la question de l'homosexualité et celle du regard assez mitigé que la société africaine porte sur les questions LGBT+.

Dans mes écrits, je parle aussi de la condition délaissée d'africains qui sont obligés, parfois, de se jeter dans les bras de l'Atlantique pour trouver un monde meilleur. Le rapport entre africain/européen m'intéresse également.

- Salvador, tes écrits sont-ils d'un genre particulier ?

- Genre dramatique.

- Salvador, peux-tu dire quelques mots du thème ou de l'histoire de l'un de tes romans ?

- Un jeune écrivain et philanthrope grandit dans un quartier défavorisé de Douala ; il tente de sortir de la routine de la pauvreté.

Il travaille dur en étant amoureux d'une jeune fille qui ne plaît pas à son entourage.

Son premier livre est un succès qui met un terme à cette histoire d'amour car ce jeune écrivain se concentre sur sa nouvelle vie luxuriante.

Des années après, il se marie avec une autre femme. L'un de ses amis, américain, meurt alors du sida, en Afrique du sud. Il lui lègue tous ses biens.

Ce jeune écrivain se rend en Afrique du Sud avec son meilleur ami devenu avocat et retrouve alors son premier amour. Il est à nouveau épris d'elle et se rend compte que, durant neuf ans, elle a élevé toute seule un enfant autiste dont il est le père.

Il se sépare alors de son épouse pour se remettre avec la mère de son enfant et amour de sa vie.

- Salvador, peux-tu nous parler de tes personnages ?

- Mes personnages sont créés en fonction du lieu où se passe le récit. Quand l'action se déroule en Afrique, j'aime bien que mon personnage soit assez ouvert aux questions de l'homosexualité, travailleur, espérant ainsi moins des autres, et assez intelligent pour être créatif.

SOCIALISATION FAMILIALE

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

- Salvador, au moment de la présentation, j'ai dit que tu étais un jeune homme… quel âge as-tu exactement ?

- 23 ans…

- Salvador, où es-tu né ?

- Je suis né à Douala, la capitale économique du Cameroun.

- Où as-tu vécu ?

- J'ai grandi également à Douala.

- Salvador, est-ce que tu peux me parler de ton enfance, de tes parents, de tes frères et sœurs… de tes familles, paternelles et maternelles ?

- Je suis né dans un foyer polygamique. Mon père avait plusieurs femmes et plus d'une vingtaine d'enfants ; j'étais l'avant-dernier né de la fratrie.

À cause des conditions devenues très difficiles au sein de la famille, ma mère se sépare de mon père ; je n'ai alors que que trois ans.

Je vis ainsi dans cette jungle, laissé à moi tout seul et n'ayant que ma seule force pour me débattre et trouver ma place.

Mes sœurs, issues de ma mère étaient toutes mariées. Je suis resté dans un univers où toutes les autres femmes bataillaient pour leurs enfants et moi je devais lutter ne serait-ce que pour m'en sortir et pouvoir manger un bout de pain au quotidien.

Bastonnades, humiliations, haine…c'est le résumé de mon enfance.

Ma famille maternelle était la seule que je connaissais, la seule qui venait des fois me rendre visite ; en l'absence de mon père, bien entendu.

Je n'ai pu connaître les joies de l'adolescence que lorsque ma mère me récupéra chez mon père et décida de continuer mon éducation.

- Quelle est ta place dans la fratrie ?

- Dans ma fratrie, j'étais toujours le petit exclu ; celui qui se plaçait dans un recoin de la cour commune pour observer les autres du creux du mur en rêvant d'une vie autre.

- En termes purement sociologiques, comment situerais-tu ta famille dans l'échelle sociale de Douala ?

- Douala est une ville industrielle et un grand centre commercial dans la zone Afrique centrale qui offre de grandes opportunités. Ma famille n'est ni une famille industrielle, ni une famille d'affaires comme la plupart des familles de Douala. Elle se situe plutôt au bas de l'échelle, une famille très modeste.

- Salvador, quelle place la lecture occupait-elle chez tes parents ? Lisaient-ils des livres, des journaux, des revues ?

- La lecture n'avait pas de place dans la vie mon père, mais pour ma mère, lire des livres était l'un de ses passe-temps ; surtout quand nous nous sommes retrouvés ensemble. ça nous aidait à mieux nous entendre et à communiquer.

- Salvador, tes frères et sœurs, lisaient-ils ?

- Mes frères ne lisaient malheureusement pas.

- Tes parents, s'intéressaient-ils à ce que tu écrivais ?

- Non.

- Avais-tu peur que le fait que tu écrives soit mal vu ?

- Oui, en quelque sorte. Ma famille s'était toujours dit que je serais un grand chirurgien. L'écriture, pour eux, était un égarement.

- Salvador, as-tu été encouragé ou au contraire découragé à écrire ?

- Plutôt découragé.

- Tes parents s'intéressaient-ils à tes devoirs scolaires ?

- Ma mère était mon répétiteur, les soirs après mes cours ; mon père s'en fichait pas mal quand je vivais encore chez lui.

- Y avait-il des analphabètes dans tes familles paternelles et maternelles ?

- Oui, presque tous sont analphabètes. Ils ont toujours été intéressés plus par le petit commerce que par l'école, et cela très tôt encore même.

- Quelle relation avais-tu avec ces personnes ?

- Quand on est un élève qui connaît l'écriture et la langue des blancs au milieu d'un peuple africain, c'est toujours des instants de rivalités ou de mépris.

- Salvador, connaissais-tu des écrivain.e.s dans ton entourage familial ? Des artistes ?

- Non.

- Que faisais-tu de ton temps libre ?

- Je me baladais dans notre quartier, où il y avait toujours un tas de jeux que les gosses de mon âge s'inventaient.

- Avais-tu plutôt des amis garçons ou filles ?

- Filles. J'avais une préférence pour les amitiés féminines ; cette tendresse avec laquelle elles écoutaient et conseillaient ; la douceur dans leurs gestes, ou une certaine naïveté dans leur jeu me plaisait ; je préférais leur compagnie à celle des garçons plutôt violents.

SOCIALISATION SCOLAIRE

- Salvador, peux-tu me raconter ton parcours scolaire et tes choix d'études ?

- J'ai fait mon primaire entre l'école publique et privée. Publique quand je restais chez mon père et privée pendant les années que je passais chez ma mère.

Au secondaire je suis allé au lycée et j'ai suivi des études scientifiques. L'objectif de ma mère était de me permettre d'effectuer des études de médecine après le secondaire.

Par faute de moyens pour continuer en médecine, je suis alors un parcours en géologie pour devenir ingénieur en pétrochimie, toujours influencé par des membres de la famille.

- Y a-t-il des disciplines que tu préférais à d'autres ?

- L'histoire.

- Y a-t-il des disciplines que n'aimais pas du tout ?

- Non, pas du tout.

- Quelles relations avais-tu avec tes enseignants ?

- Avec mes enseignants j'avais toujours une relation de complicité. On s'entendait très bien et j'étais presque toujours leur chouchou.

- Quelles étaient tes relations avec les enseignants de lettres ?

- C'était super avec eux ; jusqu'à aujourd'hui encore, je conserve une relation avec certains d'entre eux.

- Quels sont les exercices scolaires que tu préférais ?

- Les exercices portant sur la créativité. J'ai toujours aimé les exercices qui appellent à notre créativité. Que j'aille au fond de moi puiser toute mon inspiration pour venir la faire vaguer en surface. C'est ainsi que j'étais un as en narration, en poésie…

- Ceux que tu détestais ?

- Je n'ai jamais détesté une matière à l'école. J'étais du genre je fonce et je fonce tête baissée.

- Salvador, as-tu eu des prix de fin d'année quand tu étais à l'école, au lycée ?

- Oui, toutes les années.

- As-tu participé à des concours d'écriture pour lycéens ?

- Oui

- Y avait-il une revue au lycée ou à l'Université où tu étais ?

- Il y avait une revue dans mon lycée.

- Y as-tu publié ?

- Oui, je faisais d'ailleurs partie des éditeurs.

- As-tu obtenu une bourse pour tes études ?

- Au primaire ce sont les bourses qui subvenaient à une bonne partie de mes études.

Au secondaire il n'y avait plus de bourses dans mon lycée. Mais il pouvait y avoir des années où il y avait une offre de bourse, et ces années-là, j'en bénéficiais.

VIE PROFESSIONNELLE

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

- Salvador, en dehors de ton activité d'écrivain, est-ce que tu travailles ou est-ce que tu as travaillé ?

- Je ne suis pas encore un écrivain publié ; je n'ai que des manuscrits pour l'instant.

Pour subvenir à mes besoins je fais des petits boulots.

- Quelle est ta profession ?

- J'ai été et suis toujours agent commercial dans une entreprise à Douala.

- Salvador, as-tu eu d'autres activités professionnelles ?

- Non.

- Quel est, en moyenne, ton revenu mensuel net ?

- Mon revenu mensuel net est de 95 euros, c'est bien petit pour vivre. Cette somme me permet juste de payer mon taxi les matins pour mon boulot 37 euros, le reste pour ma nourriture. Je suis encore chez mes parents, une fois en location, ce sera encore plus dur, c'est sûr.

- As-tu déjà arrêté de travailler pour te consacrer à ton activité littéraire ?

- Non, pas un arrêt volontaire ; mais j'ai déjà profité de mes congés pour me mettre un peu plus à l'écriture.

- As-tu d'autres sources de revenus ?

- Non. Mon salaire est ma seule source de revenus.

- Est-ce que tu vois et vis ton quotidien comme complémentaire, compatible avec l'activité d'écriture ?

- Ce n'est pas vraiment complémentaire, mon boulot et mon écriture. Au contraire ! mon activité professionnelle est une entrave à mon activité d'écrivain : des journées assez difficiles au boulot, des week-ends surchargés et des heures supplémentaires sans paye. Peut-être tout cela me servira bien quand je parlerai du prolétaire dans le monde du travail.

- Salvador, est-ce que tu aspires à vivre de ta plume ?

- Oui. J'aspire à vivre de ma plume, à consacrer tout mon temps à l'écriture et à laisser exploser le génie littéraire qui somnole en moi.

- Y a-t-il des moments précis où tu écris ?

- La nuit et tout le matin. Ce sont les seuls instants où j'ai suffisamment de temps à moi tout seul, où je peux rester et m'interroger sur ce que je vais inscrire dans mon tapuscrit.

- écris-tu régulièrement ou pas vraiment ?

- Régulièrement.

- Salvador, t'est-il déjà arrivé de rester longtemps sans écrire ?

- Quelques semaines, oui, mais pas plus. Je ne saurais rester longtemps sans chercher à créer des personnages à qui je veux attribuer une vie, comme celle que je me fais dans la tête ou que j'aurais aimé vivre.

- Trouves-tu que tu manques de temps pour écrire ?

- Ben oui. Comme je l'ai dit précédemment, le temps… Je cours en permanence avec le temps ; c'est très difficile de tout concilier avec les moments consacrés à l'écriture.

- Où écris-tu ? as-tu un espace pour écrire ?

- Sur mon lit, la plupart des temps. Je vis dans un espace assez réduit et le seul espace qui m'est vraiment réservé, c'est mon lit.

VIE CONJUGALE

- Salvador, actuellement, comment définis-tu ton orientation sexuelle ?

- Je suis gay. C'est un peu drôle de m'entendre dire cela. Pas que j'aie honte, mais vivre constamment sous la peur nous pousse à parfois garder ce mot en nous-même. Et ça fait hyper bizarre de s'entendre affirmer son orientation en plein jour.

- à quel âge environ as-tu eu ta première relation sexuelle consentie ?

- à 18 ans.

- Salvador, vis-tu ou as-tu vécu en couple ?

- Non.

- Comment as-tu rencontré ton dernier conjoint ?

- Sur un site de rencontre.

- Es-tu ou as-tu été marié ?

- Je n'ai jamais été marié.

- Salvador, peux-tu nous parler des relations que tu as pu avoir avec tes conjoint.e.s, leurs professions, si ils ou elles s'intéressaient à la littérature ou à l'art plus généralement ? Si ils ou elles avaient une activité artistique ?

- Mes conjoints ne s'intéressaient pas vraiment à la littérature, ni à l'art ; en dehors, peut-être, de mon ex et de mon partenaire actuel.

Mon ex était passionné par la littérature ; il lisait beaucoup et se mettait aussi à l'écriture. Notre histoire était passionnante parce qu'on pouvait rester longtemps à parler de littérature, de livres, d'écrivains et c'est sans doute lui qui m'a encouragé à la poésie.

Mon partenaire actuel est un amoureux de l'art graphique. Il adore la peinture et les visites de musées.

- Salvador, est-ce que tes conjoints constituent pour toi un soutien ou plutôt une barrière ?

- Mes partenaires ont toujours constitué un soutien pour moi. Je ne peux pas rester dans une relation où l'on ne voit pas arriver un avenir meilleur, où tout stagne, sans perspective, ni rêve.

- Si ton conjoint est aussi auteur, journaliste ou artiste, penses-tu que cela constitue pour toi un atout ?

- Oui, un véritable atout même.

- Salvador, participes-tu aux tâches ménagères quotidiennes ?

- Oui, je l'ai toujours fait. Je pense d'ailleurs que toute personne qui vit en communauté devrait participer au développement de la communauté. Tout commence par les tâches ménagères. C'est difficile d'être dans une communauté où tout repose sur tes épaules, donc faut bien que chacun mette du sien.

- Tu utilises un espace de la maison pour écrire… est-ce que tu as l'impression que tes moments d'écriture sont respectés par les autres membres de la famille ?

- Non. Dans la famille on se dit que tu as toujours assez de ressources pour faire ce qui est essentiel pour toi ; du coup, quand il faut contribuer, on le fait sur le champ et sans rechigner.

- Salvador, as-tu le sentiment d'être souvent interrompu quand tu écris ?

- Ce n'est pas un sentiment en réalité, mais un fait. Je vis dans une famille nombreuse où l'on ne respecte pas la vie privée de chacun ; c'est le sens de la communauté qui prône.

- As-tu traversé des périodes de conflits dans ton couple ou avec ta famille ?

- Très souvent.

- Ces conflits concernaient-ils ton activité littéraire ?

- Non, pas mon activité littéraire.

DE LA MÉDIUMNITÉ DE L'ARTISTE

- Salvador, dans quel état es-tu quand tu écris ?

- Quand je m'assieds devant mon ordinateur, que je décide d'écrire, j'ai comme le sentiment que je suis transporté. Je ne suis plus le même.

Je fais des voyages dans un autre monde que j'essaie de transposer dans mon format. Je rencontre des personnes, à qui je donne des noms, en fonction de qui je veux qu'elles soient.

Mes personnages sont parfois beaux, laids, chétifs, hideux…

Je veux que les habitants du monde apprennent à partager, que rien n'appartienne à personne et que chacun puisse avoir sa part sur la terre.

Je pleure parfois face à certaines scènes que je décris ; je ris devant d'autres. Face à mes écrits je suis métamorphosé ; chaque lieu a une signification particulière, chaque personne qui traverse une rue, jusqu'au bout de papier sur le trottoir, doit être pensé.

Je ne suis pas Dieu créateur, mais un modérateur qui aimerait pouvoir atténuer les douleurs du monde.

ENGAGEMENT POLITIQUE

- Salvador, es-tu affilié à un syndicat, un parti politique ?

- Non.

- était-ce le cas par le passé ?

- Non plus.

- Envisages-tu de le faire ?

- Le monde n'est pas parfait ; à un certain moment il faut que des hommes se lèvent pour faire part de leur position et s'exprimer sur le monde.

Je crois bien le faire pour faire partie de ces hommes qui construiront le monde.

- Connais-tu des gens qui appartiennent à des associations, syndicats, partis politiques ?

- Oui, plein de personnes autour de moi sont engagées.

- Salvador, as-tu le sentiment de faire partie du milieu ou de la communauté LGBTQI (lesbienne, gay, bisexuel, trans, queer, intersexuée) ?

- C'est un sentiment qui me traverse au quotidien. J'ai tellement d'amis gays avec qui on partage ce secret et ce sentiment que nous formons une famille.

- As-tu un engagement féministe, LGBT, ou autre?

- Oui, je suis un défendeur de la cause féministe et LGBT.

- Salvador, as-tu, as-tu eu des féministes parmi tes ami.e.s et proches ?

- Oui, nombreux sont-ils même.

- Lis-tu des écrits féministes, LGBT ?

- Je lis beaucoup d'écrits d'activistes féministes et LGBT.

-Salvador, qu'aurais-tu à dire en ce qui concerne la vie des personnes homosexuelles au Cameroun ?

- Le monde gay est très compliqué en Afrique. à force de vivre caché derrière les réseaux sociaux, les gays finissent par se faire du mal les uns aux autres.

Nous sommes tous dans un même groupe Facebook, un même groupe Whatsapp. Nous nous draguons entre nous et couchons entre nous. Nos maladies se transmettent entre nous et, du coup, tout le groupe est malade d'une seule personne… ainsi de membre en membre et d'adhérent en adhérent.

Nous souffrons de nos ignorances et culpabilités.

- Par quels moyens accèdes-tu à internet ?

- J'accède à internet par mon téléphone portable.

- Depuis combien de temps utilises-tu internet à des fins sociales ou sexuelles ?

- Cela doit faire à peu près quatre ans déjà ou un peu plus.

- D'après toi, combien de temps passes-tu, chaque jour, sur internet, pour rencontrer des partenaires ?

- Deux heures de temps en moyenne, lors de mes pauses au boulot et après le boulot, juste avant de me coucher.

- Comment te présentes-tu sur les applications mobiles ?

- Pas de photo de moi, ça pourrait tomber sur de mauvaises personnes. Puis y'a la localisation, c'est préférable pour trouver quelqu'un dans les environs. C'est tout !

- As-tu l'impression de développer une dépendance aux réseaux sociaux ?

- Non, je sais quand il faut s'arrêter et quand reprendre avec les réseaux sociaux.

- Salvador, tes relations sexuelles sont-elles totalement dépendantes de tes rencontres sur les réseaux sociaux ?

- La plupart, oui. Mais y'a des personnes qu'on rencontre via des amis ou des sorties ultra privées.

- Salvador, existe-t-il des lieux de rencontre gay à Douala ? Et, si oui, les fréquentes-tu ?

- Il existe des bars gay à Douala. Je les fréquente assez rarement parce que je n'ai pas de moyens à cause de mon revenu modeste.

Il existe des lieux de rencontre gay à Douala, des bars ouverts par des gays ou encore des snacks gay. Je préfère ne pas les fréquenter pour éviter les pièges des homophobes et les multiples agressions perpétrées. Y'a aussi un facteur financier qui intervient dans cette abstention de visite des lieux gays : je préfère consacrer mes économies pour subvenir aux différents besoins.

- Salvador… consommes-tu de l'alcool ou d'autres substances lorsque tu te retrouves dans des situations de sexe purement … disons,… récréatives.

- Quand je suis dans une partie de sexe récréative, je ne consomme généralement pas de stupéfiants, rien qui puisse me stimuler. J'y vais et c'est tout.

- Cela t'est-t-il arrivé de répondre à une demande de relation sexuelle marchande ?

- Non, jamais.

- Salvador, en terme d'engagement politique, que penses-tu de la marchandisation du corps par la prostitution ?

- Chacun devrait être libre de disposer de son corps, comme il l'entend. Y'a des personnes qui n'ont que leur corps pour pouvoir vivre, si c'est leur choix, alors libre à elles.

- Salvador, à Douala, comment sont organisés les services publics de santé relatifs aux personnes LGBT ?

- Les personnes LGBT ne sont pas prises en charge par les services publics ; ce sont des associations LGBT qui s'organisent pour faire des dépistages chez les personnes LGBT.

- Es-tu engagé dans la propagation de ces informations relatives à la santé des groupe LGBT ? Aux problèmes liés à la prostitution, à la misère économique de certaines personnes LGBT, etc. ?

- Oui, sur les réseaux sociaux, bien entendu. J'essaie de sensibiliser les LGBT dans les réseaux sociaux en leur parlant des méfaits d'une vie désorganisée.

- T'engages-tu, toi-même, à respecter un certain nombre de précautions lors de tes rencontres sexuelles ? Si oui,lesquelles ?

- J'ai un engagement précis lors de mes rapports sexuels. L'utilisation des préservatifs, éviter les embrassades (y'a des hépatites, bien sûr)…

- Dans tes rencontres occasionnelles, quelle importance donnes-tu aux pratiques et performances sexuelles de tes partenaires ?

- Je préfère moins les embrassades que tout le reste. On peut se faire des sucions mutuelles, des caresses, et surtout encore beaucoup de caresses.

- As-tu déjà été physiquement agressé tant par un partenaire occasionnel que par des personnes homophobes ?

- Oui, très constamment même. Il y a des partenaires occasionnels qui sont plus violents que des homophobes. Des fois, ce sont des chantages avec des photos de toi seul, nu.

- Salvador, pour en revenir à ton contexte familial, est-ce que la politique faisait partie des discussions dans ta famille ?

- Mon père s'intéressait beaucoup à la politique ; ses seuls programmes télévisés étaient le journal et les matchs.

- Qui parlait politique ?

- Mon père.

- As-tu des proches qui militent ou qui ont milité ?

- Non, je n'ai pas de proche qui milite. Ma famille se tient beaucoup à l'écart de la chose politique.

- Salvador, penses-tu que l'écrivain a un rôle particulier à jouer dans la société ?

- J'en suis plutôt convaincu. L'écrivain fait partie de ceux qui façonnent le monde. Je me souviens encore de l'impact du fameux « J'accuse ! d'Émile Zola ou « Le dernière jour d'un condamné. L'écrivain a une place centrale dans le monde ; souvenons-nous encore des engagements de Camus, Gustave Flaubert, Beaumarchais ou encore Calixthe Beyala, Fatou Diome… pour ne citer que ceux-là.

- Es-tu pratiquant ?

- Oui, je suis pratiquant depuis mon enfance.

- Quelle religion pratiques-tu ?

- Catholique. 

- As-tu déjà prié, jeûné ?

- Prié, oui, mais jeûné, pas encore.

- Salvador, es-tu croyant ?

- Je crois en la divinité. Je suis convaincu qu'existe un être suprême au-dessus de tout.

- Quelle place la religion tient-elle dans ta vie ?

- La religion a une place centrale dans ma vie.

- Quelle place tient-elle chez tes parents ?

- Mon père était un athée, mais maman est une fervente croyante.

- Côté contraintes… modifierais-tu ton manuscrit pour qu'il puisse paraître ?

- Sur la forme, oui. Mais pas sur le fond. Chaque idée que j'inscris dans mon manuscrit a une place importante. Je sais que j'ai des manuscrits qui ne pourront pas être publiés sur le marché africain à cause de mon engagement LGBT ou de certaines questions concernant la politique gouvernementale africaine. Je ne permettrais pas à un éditeur de transformer mon livre pour le publier ; j'aurais impression que l'on m'a dénaturé.

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LE CINÉMA ET LA MUSIQUE

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

- Salvador, aimes-tu aller au cinéma ?

- J'adore le cinéma. C'est l'un de mes passe-temps favoris.

- Peux-tu nous citer les réalisateurs que tu aimes ?

- Là, comme ça, rien ne me vient en tête. Mais j'adore Tyler Perry et ses réalisations.

- Salvador… quel film t'a le plus troublé ?

- "Bobby seul contre tous". Ce film m'a fait pleurer comme une madeleine. Je pleure encore quand je vois ce film. Cette histoire est un peu typique de l'Afrique. J'ai connu des gens qui se sont donné la mort ou ont été tués à cause de leur orientation sexuelle. J'ai moi-même eu souvent des envies suicidaires. J'ai une peine au cœur quand je repense à ce film.

- Salvador, as-tu eu… aurais-tu… envie… de réaliser un film ?

- Oui, j'ai souvent eu cette envie. Au primaire, j'animais la section art et théâtre de mon école.

- Salvador… la musique a une grande importance dans ta vie…. Qu'aurais-tu à préciser sur cette question… de la musique… dans tes écrits ?

- La musique occupe une place importante dans ma vie. C'est avec la musique que j'accompagne mon écriture. Je choisis toujours un programme de musique précis pour chaque partie de mes manuscrits ; je me mets les écouteurs aux oreilles et j'écris. Je peux te dire avec précision quelle musique j'écoutais au moment de la rédaction de chaque partie de mon manuscrit.

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- Eh bien, chères amies et chers amis, cet entretien touche à sa fin… Nous te remercions beaucoup, Salvador, d'avoir accepté de répondre aussi sincèrement à tant de questions toutes plus personnelles les unes que les autres, pour ton engagement LGBT dans un espace quotidien plutôt inconfortable et hostile qui le rend d'autant plus pertinent.

As-tu envie d'ajouter encore quelques mots ?

- Merci Sarah pour cet instant passé en ta compagnie, d'être là et d'avoir parlé de cette passion d'écriture.

Avec cet entretien tu m'as fait revivre les moments que je passe à écrire devant mon ordinateur. Tu me fais repenser à tout ce qui m'inspire pour écrire et vivre encore, tout ce qui m'a un jour motivé à me lancer dans l'écriture.

CHOIX MUSICAL

- Salvador, qu'aimerais-tu comme musique pour clore cet entretien ?

- Hello d'Adèle. J'ai beaucoup écouté cette musique pour écrire. Je puisais là-dedans les ressources à ma plume et le courage de remplir les lignes de ma feuille.

Entretien n°3, photographie Salvador Nana

AUTOCRITIQUE DU COLONIALISME MENTAL

Suite à la publication de la reproduction de la pochette du disque de Francis Bebey, "La condition masculine", Facebook nous a suspendu de publication sur la page des éditions de l'Obsidienne. Après réflexions, il nous est apparu que, ce faisant, nous avions outrepassé les standards de la communauté lesquels précisent que les tétons des seins féminins ne peuvent être présentés sans avoir été préalablement "censurés" par une bande ou un cercle noir, par exemple.

Cet incident nous a amené à réfléchir plus en profondeur sur notre propre image du corps que nous nommerons "colonial".

Nous vous invitons à lecture de notre propre autocritique à ce sujet que nous avons alors rédigé et publié sur Facebook dès que cela nous a été à nouveau possible.

Photographies : Salvador Nana

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Seul le document original rédigé en langue anglaise est document de référence. Cette traduction est livrée en l'état en tant que commodité pour votre compréhension.

CRÉDITS

Les entretiens de Sarah B. Cohen sont construits sur la base du questionnaire proposé par Abir Kréfa,
Ingénieure de recherche en sociologie (ENS Lyon) et agrégée de sciences sociales.

La quête de l’autonomie littéraire en contexte autoritaire
Grille d’entretien avec les écrivains et écrivaines


Les activités littéraires

La venue à l’écriture

La publication

Reconnaissance

Sociabilités littéraires

Thèmes des œuvres

Socialisations familiale et scolaire

Vie professionnelle et conjugale

Rapport au religieux, expériences éventuelles de militantisme et de censure.

Abir Kréfa, « Annexe 2 : grille d’entretien avec les écrivains et écrivaines », Sociologie [En ligne], N°4, vol. 4 | 2013, mis en ligne le 28 janvier 2014, consulté le 23 août 2018. URL : https://journals.openedition.org/sociologie/2044

REMERCIEMENTS

Les éditions de l'Obsidienne remercient vivement Michel Malfilâtre pour son travail de correcteur méticuleux, respectueux du texte et attentif à nos propres choix car nous adhérons pleinement à cette idée que le langage constitue un levier puissant pour faire progresser les mentalités.

Vous pourrez par ailleurs trouver toutes informations au sujet depuis le site ecriture-inclusive.fr.

L'écriture inclusive désigne l'ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d'assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes.

Sarah Bethsabee Cohen, animatrice de la communauté Facebook des Éditions de l'Obsidienne

PLAN DE L'ENTRETIEN

Collection
Les Entretiens

N°3

Salvador Nana
Sarah B. Cohen

Editions de l'Obsidienne

Montpellier
Janvier 2019

Editions de l'Obsidienne

ISBN 979-10-91874-08-3