Illustration: Nathalie Le Gall

La Ballade de La Dame des Orées

Poème Rock

*

Préface

"La Ballade de La Dame des Orées" est un long poème écrit sous la dictée d'Amari, un haschischin aviné, durant l'année 1980, lors d'un retour de l'auteur à Besançon.
Le texte contient lui même ces informations; il est, par conséquent, difficile de les mettre en doute.

Initialement intitulé "Chants des Amants du Hollandais Volant", il clôturait un recueil jusqu'à ce jour inédit, "Fatras Malodorants", qui sera ultérieurement publié en formats numériques par les éditions de l'Obsidienne.

L'auteur, à une époque indéterminée, supprima du manuscrit les pages qui composaient les "Chants des Amants du Hollandais Volant" car le texte portait intrinsèquement une telle vie ardente et indépendance manifeste qu'il semblait préférable de l'isoler en un recueil particulier.

Ceci fait, les "Chants des Amants de l'Hollandais Volant" furent passés aux ciseaux et ainsi en différents blocs éparpillés; un premier montage en fut réalisé à l'aide d'un ruban adhésif transparent.

Cette première ébauche de reconstruction fut alors classée en un quelque part que l'auteur oublia durant de nombreuses années; il la retrouva il y a quelques semaines dans une caisse préparée lors de l'un de ses divers déménagements.

Disposant maintenant d'un ordinateur et d'un traitement de texte, lesquels lui épargnèrent ainsi un long et laborieux travail de redécoupage-montage aux ciseaux et ruban adhésif, l'auteur a, une seconde fois, joué en abondance du copier-couper-coller à fins de parvenir à la version que nous proposons en lecture.

"La Ballade de La Dame des Orées" a cette particularité de poser, une fois de plus, la question au lecteur attentif de la médiumnité possible du poète, inspiré, animé par un souffle créateur, illuminé et mystique à moins que, troublé par quelque drogue, il ne s'habitue à l'hallucination simple et voie très franchement une mosquée à la place d'une usine ainsi que Rimbaud l'avoue, sans détour, en 1873, en l'Alchimie du Verbe, Délire II.

Fidèles au schéma d'analyse freudo-marxiste, les éditions de l'Obsidienne enfoncent le clou: il n'est probablement pas, ni anodin, ni fortuit, de rappeler que le contexte historique veut qu'en 1980, l'auteur, un jeune homme de vingt cinq ans, avait acquis sa majorité à l'âge de dix-neuf ans, durant l'été 1974, six années après 68 et suite à l'élection à la présidence de la République de Valéry Giscard d'Estaing qui proposa alors l'abaissement de l'âge de la majorité électorale et civile de 21 à 18 ans.
Cette génération avait été cependant nourrie par une éducation qui voulait que filles et garçons aient atteint vingt et un an au moins pour être considérés comme des adultes.
La vieille société patriarcale, version dix-neuvième siècle, imprégnait encore les esprits bien qu'elle fût anachroniquement perçue comme une sorte de Moyen-Âge de la civilisation avec tout son cortège de lourde propagande, décisions de justice, tortures et peines cruelles, mené bon train par un catholicisme impitoyable.

C'est ainsi que "La Ballade de La Dame des Orées" est également à entendre comme le cri de rage et de haine d'un jeune homme qui se débat comme il le peut avec sa cuirasse caractérielle, musculaire, peste émotionnelle si bien nommée par Wilhem Reich, mort au pénitencier le 3 novembre 1957.
Les années soixante dix sortirent ainsi d'outre-tombe l'orgonothérapeute déchu en sorcier charlatan condamné au bûcher... sans toutefois parvenir à tirer de la connaissance de son oeuvre les actions profondes qui auraient pu, en des circonstances plus favorables, en résulter.

Soixante ans plus tard, les statistiques qui relatent l'infernale prolifération des cancers sont bien là pour rappeler que rien n'aura à ce jour encore abouti pour que cesse cette situation de létalité extrême qu'induisent la société patriarcale, son organisation économique, sa gestion de l'environnement, de la sexualité et de la vie, sa philosophie criminelle de la recherche en oncologie qui, faut-il le rappeler encore, aura condamné Wilhem Reich à mort et, plus près de nous, Mirko Beljanski qui meurt d'une leucémie myéloïde aiguë en octobre 1998, sans avoir pu utiliser ses propres produits dont la production avait été arrêté par la justice.

La boucle est ainsi bouclée. Il n'est contestation permise des thérapies officielles qui s'avèrent être, cependant, et en toute logique, productrices de cancers radios ou chimios induits.

Aux laboratoires pharmaceutiques la gestion des bénéfices, aux patients, celle des risques.

Sans doute est-ce cela que combattre le Mal par le Mal, la violence par la violence!

et la rage d'un presque vieil homme du siècle dernier,
face à l'échec,
provisoire,
de tous ses espoirs de jeunesse,
qui voit ainsi et pourtant toujours progresser ce cancer qui ronge la société humaine...

provisoire...
dit-il... passant ainsi le flambeau et

Cela fut l'été ...

Un si bel été ...

Août 2017, rue Proudhon, Montpellier

Pierre Belleney

*

La Ballade de La Dame des Orées

Ceci pourrait être,
une fois de plus,
une nouvelle halte.

Attendant jours meilleurs,
je fume,
sans grande hâte.

La Lune était absente,
la rue, vide,
la nuit, d'agate.

Cela était inexistant,
comme musiques lointaines
venues des profondeurs marines,
chants des baleines.

Alors,
le marin s'endormit et sourit à la misaine.

Il souriait, souriait ;
non corsaire, mais pirate.

Le regard de celui qui n'avait plus la haine.

Pendu haut et court,
il impressionnait
la foule ahurie.
Ces lèvres, immobiles,
murmuraient.

Oh Douce Amie...

Cependant,
qu'à l'autre bout de la place,
une femme,
souriait,

lui faisant face,
debout dans les flammes.

Mais bientôt,
la foule
ne sait plus où donner de la tête.

Traversant la place en un bruit d'enfer,

alors,
qu'au même instant,
la Lune paraît,

approche,
lentement,
un vol de dragons enragés,
l'oeil mauvais,
la verrue au bout du menton.

Alors,
un oiseau fuit.
Et ce fut l'orage.

Un vol de vampires
s'abat sur les rochers.
Leurs yeux,
rouges,
scintillent.
Étincelle le diamant.

Dans un sombre recoin,
tapie,
l'oeil terrifié,
une chauve-souris
voit la caverne s'emplir de vifs et brusques éclats.

Sur la montagne,
la foudre tomba.

Soudain,
l'averse,
fort folle,
s'emballe.

La boue se diluait,
les fleuves montaient.

Des vaisseaux venaient du pays
où se couchait le Soleil.

Des hommes, étincelants, les dirigeaient.
Ce fut le massacre,
la colère des Dieux.
Ils brisèrent les idoles,
érigèrent des calvaires.

Lance d'airain,
Saint-Georges
chevauche le Malin.

Ces blasphèmes outrageant mirent à son comble l'agitation de la populace.

Un prêtre apparut,
il joue du goupillon ...
Mais trop tard ...
Tout disparu ...

Ce fut la nuit.

Elle dura ;
très longtemps,
animée par de sombres desseins.

Ils en vinrent à en oublier leur ombre.

Les eaux,
immobiles,
s'abaissaient,
lentement.
La vie descendait avec elles,
des montagnes à la plaine.

Ceux qui avaient survécu dans la plaine,
Ceux qui venaient des montagnes,
se regardaient,
les uns,
le visage vers le ciel,
les autres,
fixant le sol.

Les petits,
l'air las,
s'agenouillaient,
aux pieds des géants,
levant haut les bras.

Les grands,
la main sous le menton,
songeaient,
trahis,
qu'alors enfants,
il leur était arrivé,
si souvent,
d'écraser les fourmis
alors que
s'écoulaient
d'ennuyeux après-midi.

Mais
arrivé en ce lieu du récit,
ne faudrait-il pas réfléchir ?

Que vais-je dire ?
Ce n'est pas le moment de rire ...
D'autres finir au bûcher pour moins que cela.

Aïe ! Dans quel pétrin me suis-je mis !
Quel poids accable mes bras !

Dois-je prendre parti pour les fourmis ?
Où dois-je faire assassiner les enfants ?

C'est à y perdre la vie et se briser les dents.

Ce sont deux choses que de condamner les grands ou les petits !

Ah ! Quel parti prendre ?
Seigneur, aide-moi !

Oui, je suis ton serviteur.
Voilà ce que je dis :
Qu'ils s'entre-dévorent et bon appétit
 !

Je songe
alors
à ceux qui,
maîtres d'infliger le châtiment,
voient,
sous leurs yeux ébahis,
effarés,
le regard des amants.

Je me nourris de légendes effrayantes et grandioses,
je n'ai plus aucune foi en l'histoire.
J'ose croire que l'humeur guerrière
n'est que caricature des plaisirs de l'enfer ;
j'entends déjà hurler
ceux qui partirent
prendre le risque de leur peau aux sons des dzingboumboums.

Vite, mon ami, donnez-moi une douceur, des loukoums,
que ces vers ne se terminent par une farce de mauvais goût.

Ne confirmez point les doutes et les craintes que j'ai envers vous.

Droite-gauche-droite-gauche-en-avant-marche !
Tristes arnaques ;
Faîtes-moi grâce,
épargnez-moi cette farce.

Ne prenez pas le risque de m'agacer.

Mais en voilà assez ...
Que vos dilemmes,
surannés,
soient mis à l'épreuve.

Venez ...
Parcourez mon corps décharné
de milles baisers.

Tu trembles ...
suis-je à ce point décomposé ?
Macaque,
triste fanfaron,
que n'es-tu venu en ce lieu !
Tu le regretteras !
Je vais t'arracher les yeux.

N'y voyant plus, passeras-tu à l'attaque !

Songe,
songe à ce regard des amants.

Lui,
le pirate ;

elle,
l'aventurière ;

prisonniers du vaisseau maudit,
sur la mer des damnés,
ils errent,
défient les manants apeurés,
contemplent les flammes du bûcher
consumer les eaux.

Les haubans crient au vent.
En ce lieu, légifère Satan.

On dit qu'il les protège, qu'il a leurs sceaux.
Mais On dit tant de choses ...
et tant se sont transformées en légendes.

D'ailleurs,

l'or
coule sur les côtes souillées ;

dans la lande,
je me réfugie.

Le vent ne souffle-t-il pas sur les bruyères ?

Que soit la nuit !

Les Esprits livrent la guerre
sur ces terres
que trop de rationalités ont rendues austères.

J'en appelle à votre retour,
korrigans, fées et sorcières ...

Ici

s'arrêtent momentanément ses paroles
que,
déjà,
naguère,
il n'acheva.

L'heure était passée.

Demain,

il repasserait,
dans le sinistre, froid silence de ma chambre.

Penché à mon chevet,
il me raconterait la seconde partie de ce chant.

Trouvère,
viendrais-tu me dire,
avant la fin,
les ultimes secrets
de la fierté et du respect
que doivent inspirer les damnés ?

Dis,
viendrais-tu,
cette fois encore
me rendre courage ?

Ma peur,
jour après jour,
disparaît.

Lentement se fait l'apprentissage ;
bientôt ...
il ne vous sera plus que possible de me quitter,
mauvaise fréquentation,
triste personnage,
squelettique,
vous souriant
du haut du gibet.

J'aurai rejoins de sauvages prières,
ombres des Hauts-Ages,
danses et balais,
feux et farfadets.

Halo lunaire,
obscurité bienveillante
protège,
les profonds marais,
les épines de l'églantier,
les grilles rouillées
de mille châteaux hantés.

Les passeurs maudits
vous saluent bien bas,
lèvent leur chapeau ;

noir,
un sourire,
de mauvais aloi,
grimace
sur leurs dents écaillées.

Ne vous empressez ainsi ;
chacun son tour ;
le bac est bien guidé.

Ne craignez rien.
Notre main est sûre.

De l'autre côté,
soulagés de vos soucis communs,
posant pieds sur la rive,
souriez

au gardien.

Il n'est point féroce envers ceux qui font grise mine,
donne la patte à ceux qui,
poliment,
s'excusent d'être encore couverts de lambeaux de chair.

Si votre pourboire est honnête,
il saura vous faire de doux yeux,
tirera la langue
pour laver ces tristes vestiges
du plus mauvais effet !

Ici,
nous aimons la netteté,
le prestige de nos appâts.
Nous cultivons cette apparence
fragile
de nos gestes !

Elle nous est aussi précieuse que notre sourire,
nos légères,
si prestes pirouettes.

Joyeux drilles,
nous prisons fort les castagnettes.

Ne vous faites pas prier.
Laissez-là votre drap !
Venez !
Vous voilà notre convive.

Joignez-vous à nous,
montrez votre bonne humeur
par quelques galipettes.

Les fossés sont larges et profonds.
Suivez la farandole,
si vive,
si alerte ;
frappez le tambourin ;
tournez,
fantasques crécelles,
voici venue l'heure du festin,
le vin pétille dans les burettes ;
la vie est belle !

Lève ton verre !

Attends !
Je t'arrête.
Tu te trompes.

Je ne suis que son Secrétaire ...

Ne pense,
jamais,
un seul instant,
à me rendre gloire,
me mépriser.

Ignore-moi plutôt.
Je ne demande rien de plus.

Souviens-toi que,
naguère,
tu l'as ignoré ;
il avait faim ;
de pain, de vin,
d'amours illuminés.

Il frappait à ta porte,
livre à la main,
récitant quelques vers
pour s'acquitter de son repas.

Mais ton corps,
ton esprit de fer,
rassurés par quelques théories savantes,
riaient
de tant de naïveté.

Ta femme,
prisonnière,
ta bourse bien lacée,
étaient pleines de promesses.

Cela te suffisait pour étaler ta fierté ;
manant ! Cornu ! à gros cul !
Puisses-tu crever
de salasse probité !

Ton honnêteté
fait frémir
le plus cruel des égorgeurs ;
jamais, cet homme ne saurait éventrer,
avec tant d'horreur,
le sein de sa compagne.

Pour lui,
qu'aucune loi ne retient,
jamais,
oh jamais,
il ne lui serait possible de l'emprisonner
en de si tristes
lendemains.

Que l'épargne pisseuse,
les langes crottées
soient tes seuls horizons !

Rassure-toi !
Je n'étais pas venu te ravir tes mornes propriétés.

Ne crains rien !
Ta progéniture malhabile,
j'en aurais plutôt pitié
si ce sentiment ne m'était interdit
tant il manque de raisons de croire
en la reconnaissance
de chiens étranglés par leur laisse, délivrés,
un soir de Lune noire,
par un voleur prodigue en caresses.
Il quitte la maison au carreau brisé.
Heureux de faire partager sa joie,
il rompt,
amusé,
le lien,
cruel,
qui les retient à ce sinistre toit.

Non !
Tu peux me croire !

Je n'en veux à ton feu !

Les petits villages comptent leurs morts et enfants assassinés.
Haltes passagères ;
le temps d'en souiller les monuments,
de faire pèlerinage,
ému,
au cimetière rongé par les vents et le gel.

Non,
ne crains rien ;
ni pour eux ;
ni pour elle.

Ma compagne est autre ;
d'un autre pays ;

et si belle ...

La douceur de ta peau,
la moiteur de tes lèvres,
va-et-vient de la mer,
l’écume blanche,
sur la plage,
alanguie
sous la chaleur de ton front
étoilé.
Tu traverses les murs de la nuit,
sondes les profondeurs de la terre.

Au bout de tes doigts
s'écoule la vie.
Elle source à tes pieds.

Les déserts s'animent,
le ciel s'étoile et scintille de multiples signes,
points de repères,
guide de ton voyage,
longue caravane chargée de présents.

Les portes de son domaine sont ouvertes,
grinçantes et rouillées.
Des roses brunies et séchées songent au soleil,
à l'ombre de la chapelle.

Belle,
si belle,

elle sourit aux passants solitaires,
doigts noueux qui enserrent,
angoissés,
la paume usée de leur bâton de pèlerin.

Ils se signent,
craintifs,
contemplent,
l'oeil creux, les perles de verre,
mauves,
sur la terre ocre.

Oh, amie,

souris-leur,

prends ton air espiègle,

que le vent agite gaiement les herbes de ta robe
peuplée de lézards ;
ils fuient à l'approche de tes pas.
L'oeil mordoré,
un scarabée bleu se glisse sous les pierres grises.

Ce ne sont-là qu'aimables présages ...

Regarde ...
derrière les cyprès ,
frémissent les oliviers, les jeunes chênes.
Le raisin éclate sous la Lune.
Les chardons mauves et bleus,
verts,
effilent et durcissent leurs pétales gorgés de sève et de rosée
matinale.

Belle,
à l'orée du bois,
effeuille le lys,
trace les signes étoilés de ton passage,
dessine la croix.

Au premier quartier,
la Lune
s'incline
au Soleil couchant.

Très loin,
au bout de la plaine,
les collines ;
et tout cela bleu, vert, rose, mauve,
rouge et gris

Cependant
que se saluent les grillons, cigales ,
sauterelles ...

Cependant
qu'une petite araignée jaune,
tapie sous un caillou blanc tâché de gris,
guette venir à elle une fourmi rousse,
un gros fragment d'aiguille de pin entre les mandibules.
Les chemins ocres bleuissent
sous un frais vent léger.

Dans le silence,
un son métallique,
corde d'une cithare électrique.

Une file d'hommes en robe orangée
avance sur la route blanche,
en marche vers les montagnes.
Des mouches affolées bourdonnent à leurs oreilles.

Arrivés aux sommets,
descend leur regard.
Au pied des roches,
la mer,
étincelante,
au Soleil couchant.

Cela dure et puis ils dansent,
frappent des mains,
crient, crient !

Cela s'arrête
laisse place au silence ...

Un oiseau,
venu de la mer ;
il approche du groupe d'hommes,
il approche, approche, approche, approche, approche,
approche lentement,
battant ses ailes lourdes,
noir,devant le Soleil.

Dans la plaine,
des hommes frappent les tambours autour des flammes.
Leurs corps,
nus,
ruissellent de sueur.

Très loin,
à l'autre bout des montagnes,
de l'Autre Côté,
arrivent des cavaliers noyés dans la poussière.

Nue,
derrière un rocher,
elle regarde tout cela,
fort amusée.

Alors,
les peaux,
brunies,
frémissent
aux caresses pâles de la nuit sur la blancheur des crépis.

Froufrou de pourriture,
un squelette en tutu blanc
danse sur un piano à queue,
s'agenouille,
fait la révérence au pianiste invisible.

Merci mon vieux ; à demain,
Minuit !

Seul,
devant son piano,
il entama un chant triste dans la nuit.
Il claquait des dents,
agité par une fièvre inconnue.

Le son des claquettes attira quelques osselets ...
et une bonne dizaine de grosses molaires.

Trois évêques,
coiffés de leur mitre,
faisaient causette au balcon.
« Ce soir la Lune est bien pleine,
ne trouvez-vous point ? »
L'autre se signa ;
le troisième dit :
Amen ...

Le pianiste, furieux,
claqua le couvercle du piano.

Une religieuse se glissa furtivement entre les bosquets du jardin,
disparut derrière la haie qui longeait le bassin.
Une pomme tomba sur l'herbe.
Cela fut le signal.
Le pianiste ouvrit le couvercle du piano,
lança une longue plainte de double croches arpégées en ton mineur.
Puis il s'évapora en trilles aigus,
série fort brève,
sur laquelle il enchaîna un boogie-woogie.

Olé, Olé, Tchak Tchak !
Criait la religieuse,
derrière le bosquet.

Les évêques agitaient leur goupillon.

Le pianiste reprit sa plainte en double croches arpégées,
poussa son trille,
fit hum hum hum.

Le concert était terminé.

Tristes,
s'en retournent les corps abandonnés,
en leur froide maison.

Ne les laisse ainsi !

Recevons-les !
En notre palais,
illuminé,
que dansent les feux,
joue la musique,
soufflent les orgues !
Bien sûr !

Les frissons de la peur
d'aimer l'éternité.

L'hôte est sacré !

Le voilà enfin,
sain et sauf !

Alléluia !

Le voilà revenu à raison.

Ne pleure plus,
esseulé ;
ce soir, ce sera la fête !

Nous décrochons les pendus,
baignons les cendres dans le fleuve.

Personne
ne saura jamais plus nos secrets.
Les brodequins, les roues, les fers, pendent aux murs.

Vains,
ils ne sont plus qu'ombres.

sous la Lune,
le grand prêtre rompt le pain.

Commencent les affres de la peur ;
sous ses yeux,
croassent les crapauds,
pissent les chiennes grosses.

Les saints tremblent dans leur châsse,
les hosties,
souillées,
par le sang des menstrues !

Voici l'heure !

de la Lune,
des violons ;
lentes valses,
chants des sables de la mer.

L'écume jaillit,
avale le crabe ;
croulent les dunes !

Il est temps de reprendre le chemin des montagnes.

Abandonne tes terres,
laisse l'or au fond des marmites ;

voici venir
le jour pour dormir sous les étoiles !

Long voyage des voiliers hébétés,
vaisseaux égarés dans la brume,
armadas ravagées,
avachies,
défaites,
par les puissants , tonnants soubresauts
et cris de joie des amants réunis.
Tout recommence.

Déjà,
ils caressent le ventre arrondi.

Déjà,
l'enfant sourit.

Les voilà tous trois accostés.

La mer est immense.
La terre a mis les voiles,
réfugiée dans les profondeurs froides,
recueillies,
des eaux corail
aux grotesques,
émouvants,
grands poissons sans écailles.

La mer,
ses infinis secrets,
jetés à la côte,
en pâture aux pécheurs
d'épaves.

Ventres gonflés, lèvres bleuies, coquillages vides,
couverts de fines algues,
bois, bouteilles anonymes, sans âge ;
au soleil,
parmi les pierres, les galets
et les sables.

Une voiture
remonte le long du rivage ;
claquent ses roues noircies,
crient les oiseaux marins,
trompes du cortège.

Les hommes,
voûtés,
vont à leurs tâche,
sans hâte.

Leurs mains crochues trouent les regards d'adolescents portés par la marée.

Leurs longs cheveux,
leurs yeux, glauques, verdâtres,
contemplent le ciel
où dansent
de grandes amazones.

Blanches et fières,
elles chevauchent,
silencieuses et austères,
portent la tempête dans les sombres vallées,
bien loin de là,
très loin de là,
où les croix marquent les chemins et la guerre,
là où
l'espace
est tant peau de chagrin
que, seuls, parlent les fusils,
les voleurs, se taire,
et que,
du fond des chaumières,
psalmodient les sorcières.

Sur les places de cités aux toits pointus,
brûlent les bûchers,
dans les étables, tarissent les vaches,
dépérissent les veaux.

Les grandes salles enfumées suent la graisse,
les vieux veillent autour de l'âtre,
agitent leurs mains
avares et crochues.

Les femmes grosses écoutent
les Tarots
debout devant la table,
les mains croisées sur leur ventre de marâtres futures.

le Diable leur pardonne.

Les hommes crachent dans le potage aux coquillettes,
content des histoires,
sévères.

La vie est dure, bien dure, fils ;
pas de cadeau !
Travaille, travaille, travaille.
Jeunesse volage,
tu ne dure qu'un temps,
ainsi que l'amour et les fards.

On ne vit pas d'air pur, fils !
Charpente, laboure, sème, récolte,
donne-nous de beaux enfants,
sains, vigoureux,
honnêtes, comme nous.

Ne les laisse pas
courir la Gitane.

Interdit-leur
de saluer
les boucs savants !

Fais-leur goûter,
au fil des ans,
le sel amer de la sueur,
les balafres rougeâtres du fouet,
l'épargne ...

Alors,
les femmes se signent,
Monsieur le Curé bénit ces bonnes paroles.

Ah Dieu vous ait en grâce !
En son sein, reposez,
soyez humbles, bienheureux !

Allons !
Embrassez le crucifix !
Malheureux,
sauvez vos âmes !

Allons !
Confessez vos péchés !
Ils sont moins cruels que votre peine !

Avouez !
Vous serez sauvés.

Un vol de corbeaux s'abat sur les flammes ;
charognard et rapace,
il arrache les cris,
les confesses ultimes,
récupère les âmes.

Voyez la triste maligne !

Trahie, impure, débauchée, traînée !
N'as-tu point honte d'être !
si fière !
face à ces humbles regards,
ces paysans fatigués,
à demi-convaincus ...

Allons !
Fais grâce de ton arrogance,
avoue !
Tu seras pardonnée !

Elle sourit,
ondine calme,
elle sourit,
face au pendu.

La foule éberluée croit au miracle.

Abâtardis !
Fils d'ivrognes !
Damnés !

La nuit,
ils se rendaient en secret à ses pieds.

Dimanche,
ils font ripaille,
invitent Monsieur le Curé !

Sitôt le corbeau envolé,
ils roulent dans la paille,
troussent les servantes demi avinées.

Alors,
tombe la brume.

L'air craintif,
ils entrouvrent leurs portes.

Plaintifs,
ils supplient !
pour que jamais,
jamais
cet enfant,
maudit,
ne naisse
en leur taudis.

Ce n'est qu'une putain,
Marie-couche-toi-là,
pas d'ça au logis !
Un enfant !
Un enfant de servante !
Qu'allons-nous faire !

La Dame des Orées

passe les mains,
cueille les herbes,
marmonne,
arrache le coeur
des hirondelles.

Tout est en ordre.
Le jour se lève sur le cimetière.

Les flammes déchirent la belle.
Au bout de sa corde,
frénétique,
danse le pendu.

Les voici enlacés.

Vous n'êtes que des chiens pelés !

Ne crois pas en mon archaïsme.

Je ne te parle que de ce que j'ai vu,
en ces tristes villages où je naquis.

J'ai pris mes souliers,
mon sac.
Je me suis vite enfui !

Vers des pays lointains.

J'ai traversé la mer.

Je suis revenu,
une trique entre les mains.

Ils m'ont regardé,
terrorisés.

Alors,
ils m'ont accusé
de folie !

Enfermé !

Ils avaient
maintenant
un garde-champêtre !
Ils en étaient fiers.

Ils savaient lire les décrets,
ces bouilleurs de crus !
L'eau de vie,
taxée,
passait entre leurs mains tremblotantes ;
pâles aventuriers,
du fond de la cave,
ils détournaient
quelques infâmes bouteilles.

Dis-leur cela,
dis-leur que
chacun de ces mots
n'est qu'un mot,
que,
si jamais je fus celui-là,
dis-leur que
je tente de m'arracher d'entre leurs bras,
que chaque bribe de leur discours répugnant
souille mon sang.

Je les hais.
Cette lutte sera celle du plus fort ;
je ne suis que peu enclin au pardon,
à l'épargne.
Je n'ai que la haine,
l'arrivisme le plus outrancier !

Dis-leur !
Tu connais mon but !
Nous saurons, qui le premier,
nous verrons, qui le dernier,
sera damné !

Je leur volerai
tout
ce qu'ils m'auront volé !
Je n'hésiterai pas !
Je serai marchand s'il le faut !
T'associeras-tu ?

Je n'ai plus aucun sens de leur charité,
ma place m'interdit de m'y complaire !
Je n'ai pas votre hypocrisie !
Faux culs,
je vous pénètre
en vos foyers de pâles et tristes nuits !
Que j'y mette quelque animation !

N'est-ce pas commère ?

Que les langues de vipères les plus longues soient pendues !
Qu'un chat noir les happe,
traverse la rue ,
et tonnent les entrailles de la terre ;

Le ciel te tombe sur la tête.

Les cendres fixent à jamais l'empreinte des corps,
la lumière nucléaire, les ombres sur les murs !

Tes pires craintes sont arrivées !
Et tu tremble encore devant la mort ?

Allons !
Le sort en est jeté !

Adieu mes amis
si vous n'avez suivi ce chemin de fierté !

Adieu !
Sachez que je vous aurez aimé,
compères ...

Voici l'heure sonnée.
Récitez cela douze fois de suite.
Festonnez,
fesses tonnez,
sans cesse
saucissonnez sec ainsi six fois sans souci !

Et tremblez
petits pâtres,
patrons propres,
patrie patrata !

Moines prospères
frottez-vous le ventre
de vos bonnes,
grosses,
mains cocasses,
et souriez !

Saperlipopette !
Grincheux et grognons !
Tonnerre de bois !
Ventres à terre poitrinaires !
Ventouses religieuses !
Chapeaux pointus !
Sciez du bois !
Coupez l'oignon !
Que macère le bouillon !

Voici que,
malade imaginaire
joue sur scène,
mort de peur.

Oh pieuses figures,
délicates et savoureuses,
l'heure est sonnée !

Allons !
Du nerf !
Riez,
joyeux compères,
riez !

Dieux que vous êtes pâles !
Cela tournerait-il mal ?
Ah
Que faire ?
Allons, allons, allons,
ne vous affolez point chers amis !
Le moment est mal choisi !
Il faut tourner la page !

Voilà qui est fait.

Était-ce si difficile ?

Ainsi fut.

Il releva lentement son regard.
Le monde lui faisait face.
Il était trop tard.

Dans la rue,
gémissaient les grands fauves.

Cela était silencieux,
comme une couronne noire et mauve.

Le Soleil,
du neuvième mois,
teignait,
de pâleurs sournoises,
les jaunes clairs des immeubles,
des halls de marbres.

Cela fut l'été ...

Un si bel été ...

Ce soir-là,
Paris-Soir,
n'afficha pas ,
en gros titre :
« Un caissier affolé fait sauter la planète !!! »

Premier chant
qu' Amari,
haschischin,
aviné,
me souffla à l'oreille.

Besançon (1980)

*

Postface

Dans ce long poème, teinté d’acide, Pierre Belleney invite le lecteur à découvrir l’ultime but de son errance au travers d’un paysage encombré de profonds marais et de rivages obscurs.

Même si, par défi, une foule ahurie disperse le regard vide d’une femme nue qu’un rocher dissimule, l’auteur, fort de son immense amour, abandonne sans peur une route trop droite afin de la rejoindre en empruntant le chemin pierreux qui longe les ténèbres.

Au terme d’interminables nuits où la lune parfois dévoile le marin pendu que la foule apprivoise, l’écrivain devient presque contre sa volonté, un passeur de rêves.

Alors au travers d’images écornées, se mêlent la femme d’un autre, une meute de chiens étranglés et des portes grinçantes et rouillées. Tout à coup parvenu dans un cimetière rongé par les vents et le gel, la lune apparaît enfin, illuminant une amazone blanche au regard glauque qui ne garde sa croix que pour mieux attirer les étoiles filantes.

Alors l’auteur, dans un ultime sursaut, disperse la voix des rustres qui, dans la morne plaine, frappent les tambours autour des flammes.

L’auteur sait que ce bûcher est le sien, il sait aussi que son voyage s’achève et que l’hiver recouvre son chemin, il est à présent seul avec pour seul désir de faire l’amour juste une fois avec la femme qu’il ne reverra pas.

Alors, au terme de ce récit, l’auteur se délecte à compter les vivants et les morts et tandis que les hommes sortent leurs couteaux et que les femmes se signent, l’auteur essaye de rejoindre celle qui sourit face au pendu.

A la fin de ce texte, l’auteur submergé par le dégoût et le désespoir, s’apprête à livrer un ultime combat contre lui-même pour devenir celui qu’il aurait voulu être. Mais, alors que le jour se lève enfin, un chat noir traverse la rue, la brume s’abat sur la plaine et un enfant aveugle et en haillons s’approche un scalpel à la main.

Pour commencer à vivre, il est déjà trop tard.

Camille de Archangelis

Editions de l'Obsidienne, Montpellier, France

SOMMAIRE

Éditions de l'Obsidienne, Montpellier,
Texte de Pierre Belleney
Illustration de Nathalie Le Gall
Licence creative commons 4.0 International (CC BY-NC-ND 4.0)
ISBN 979-10-91874-04-5

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