Première de couverture, Salvador Nana, Lettre d'amour d'une fille à ses frères

Lettres d’amour
d’une fille à ses frères

Cul en l'air, buste sur la table et bras sous mes joues rondes, je revois tout ce que j'ai vécu ces jours de printemps.

A vos yeux je ne suis qu'une afropéenne, je n'ai de place ni dans le pays de mes origines, car je ne suis plus assez dans nos codes de cette vie patriarcale, ni dans le votre où je vis désormais ; ma couleur basanée, mon front cuivré, mes yeux marrons et mes cheveux crépus dérangent.

Mais je sais une chose, une chose vraie que malgré tout elle restera toujours vraie : mon corps ne retrouve pas sa place, mais mon cœur, oui.

Hier encore, je traversais Amourville. La ville était lumineuse, les fleurs avaient fleuri, les tournesols étaient retournés vers le soleil flamboyant. J'avais un corsage liquette et un mini-short.

Les yeux des mâles me convoitaient et moi, comme une bombasse avec ses formes africaines, je les narguais.

Je suis allée au pied d'un arbre, je me suis assise, j'ai déboutonné mon short et je me suis laissée à la rêverie.

Tout était beau; trois costauds motards vinrent près de moi, me saluèrent en bisoutant mon cou. L'un d'eux tira les boutons de ma liquette, se prit à mes tétons et les mordilla. L'autre tira ma culotte sous mon short et fourra sa langue dans mon clito ; j'émis un long gémissement que l'autre réprima en se jetant fougueusement sur ma bouche. Ils me tripatouillaient, me léchaient, me suçaient... Le ciel était beau. Les oiseaux se regroupaient sur les cimes environnant pour nous épier. Une tendre colombe passa près de nous. La colombe venait de Venus. Un magnifique papillon se posa sur mon nez. Lui aussi se mit à me chatouiller.

Je voulais crier, peut-être à cause de ce monstre d'homme qui touchait le point rose de ma moiteur, ou celui qui se mit nu devant moi ou l'autre qui posa sa grosse verge sur ma bouche.

Je laissais mon esprit se balader dans tous les sens et chercher l'inspiration. Je me voyais, faisant la cravate du notaire, la branlette espagnole, le missionnaire, le cheval... Je jurais, je psalmodiais, j'expiais et seuls les diables me répondaient par de gros coups dans mes reins.

Une heure après je me réveillai et me vis allongée sur la racine de l'arbre, le vagin moite et les bouches salivantes. Cette moiteur me collait ; la grande lèvre recouvrant sans cesse la petite. J'envoyai mes doigts dans ma culotte pour les décoller et je repris le chemin de retour.

Aujourd'hui je suis livide dans mon lit et je vous écris cette lettre parce que vous ne savez pas nommer le sexe.

C'est moi la fille révoltée, la fille qui court dans les rues en expliquant son orgasme, moi qui marche les fesses en l'air et courant derrière le beau mec de la rue d'à côté. C'est moi qui caresse la peau de ma voisine d'à côté dans l'ascenseur en la laissant toucher mon minet. C'est moi qui viendrai au village la saison sèche prochaine avec le piercing au nombril et les lentilles noires aux yeux. Je vous aime mes frères et je baiserai sûrement avec beaucoup d'entre vous, car aujourd'hui je peux assumer ma libido.

*

Dans une publication sur Facebook, Salvador Nana confiait ceci :

« Petit, je suis un enfant plutôt intelligent, assidu et respectueux des valeurs traditionnelles.
Je suis différent des autres et ça, ils ne cessent de me le répéter ; je préfère les poupées au foot, je joue plutôt avec mes sœurs qu'avec mes frères, je suis un peu maniéré et du coup on me colle toutes les étiquettes sur le dos : fille-garçon, pédé...

C'est dans cette ambiance que je grandis.

Au secondaire, de retour chez maman, je rencontre un voisin avec qui on se lie d'amitié et avec qui on fait plein de choses coquines ; lui, ne sachant pas toutes mes frustrations, se confie un jour à un voisin.

Ce voisin profite alors de ce lourd secret pour me faire chanter et m'extorquer des services gratuits.

Dans mon adolescence, maman me surprend un jour avec un mec et décide d'agir.

Elle m’emmène alors voir des *tradipraticiens et le curé du quartier.

À son plus grand dam, il n'y a aucun changement sur mon physique et elle se dit alors déçue.
C'est ainsi qu'elle ne me parle plus, ne me regarde plus. Je vis dans une maison avec elle, mais comme si j'étais tout seul.

Pour payer mes études de droit, je dois faire des petits jobs par-ci, par-là. Des fois je veux quitter, aller me caser, mais mes petits jobs ne me permettent pas de claquer la porte et je dois supporter tous les regards moqueurs, ces hommes qui te huent au passage, ces femmes qui te toisent sur le chemin ou ces anciens amis qui se moquent dès que tu les croises. Tu n'arrives plus à te retrouver, reconstruire ton identité ; des fois, j'ai pensé au suicide, à la fuite vers d'autres lieux, mais où ? La peur reste constante et tu vis renfermé sur toi-même.

Les hommes qu'on rencontre sur les réseaux sociaux sont parfois des escrocs ou des espions, car, chez nous, l'homosexualité est pénalisée.

Du coup on est sur le qui-vive, on a peur, on ne sait à qui faire confiance et on vit en réclusion.

Parfois tu as l'espoir de trouver quelqu'un ailleurs avec qui partager une idylle via les réseaux sociaux ou pendant des vacances, à l'occasion. Mais, là encore, tu peux tomber sur un raciste qui ajoute encore de la douleur à tes peines. C'est dommage et dur.

« Un *tradipraticien exerce une pratique médicale non conventionnelle reposant sur des approches présentées comme traditionnelles dans certaines communautés africaines ». (Wikipédia).

*

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SALVADOR NANA

Quatrième de couverture, Salvador Nana, Lettre d'amour d'une fille à ses frères

Éditions de l’Obsidienne

Quatrième de couverture, Salvador Nana, Lettre d'amour d'une fille à ses frères

Montpellier

Mai 2019

ISBN : 979-10-91874-11-3